18
Cameron Cole posa le sac de sport sous le porche du Pink’s. La toile du sac était effilochée, les coins usés et le nom adidas à peine lisible sous la couche de poussière. Il ouvrit la fermeture Éclair, mais marqua une pause avant de sortir le contenu.
— Au fait, dit-il, on vous avait pas demandé de rester dans l’église ?
Léonard et Elizabeth demeurèrent silencieux. Accoudés à la rambarde en bois qui courait sous le porche, ils observaient la carcasse du bus.
Karen Walsh arriva à son tour et se laissa tomber sur une chaise à l’ombre.
— Crevée, moi. Bon, Cam, tu résumes ?
Il sourit. Son short blanc était maculé de traces ocre et sa chemise à fleurs en avait pris un coup. Son bronzage, en revanche, était toujours aussi éclatant.
— Les autres ne viennent pas ?
— Ils sont occupés, répondit Lenny d’une voix neutre.
— Alors tant pis, on démarre. Il y a deux nouvelles : une bonne, une mauvaise.
— Envoyez la bonne, dit Elizabeth.
Cameron les fixa un instant. Est-ce qu’ils étaient en train de se foutre de sa gueule ? Il plongea les mains dans son sac et en ressortit deux cartons de jus de fruits.
— Cocktail aux lychees ! annonça-t-il triomphalement. Deux packs de six. Douze litres au total. On a aussi déniché de la nourriture dans le placard d’un mobil-home et…
— Il y a toutes les boîtes qu’il faut dans la réserve, coupa Lenny. Elizabeth vient d’en faire l’inventaire. Et la mauvaise nouvelle ?
Cameron fronça les sourcils. Il n’aimait pas beaucoup la façon dont ce vieillard venait de l’interrompre.
— La mauvaise (il articula lentement pour bien faire comprendre son exaspération), c’est qu’on est toujours dans la panade. On a exploré la rue, l’extrémité se divise en deux. Le chemin de gauche finit en cul-de-sac dans une sorte de mine. Celui de droite grimpe comme pas possible jusqu’à un château d’eau. J’ai escaladé l’échelle du réservoir et jeté un œil par la trappe d’entretien : figurez-vous qu’un abruti a balancé des bidons de peinture à l’intérieur. L’eau est complètement…
— Écarlate, dit Elizabeth. Polluée. On sait.
Cameron secoua un carton de jus un peu plus énergiquement que nécessaire. Il déchira le coin d’un coup de dents et le posa devant Elizabeth.
Le vieux, il pouvait toujours aller se faire foutre.
— Servez-vous, dit-il.
— Vous n’en prenez pas ?
— J’en suis à mon troisième.
Elizabeth prit le cocktail et but à petites gorgées.
— Pour l’instant, dit Karen, mieux vaut ne pas toucher à l’eau du robinet.
— Vous avez rencontré des gens ? demanda Lenny.
La jeune femme secoua la tête.
— Personne. Ni téléphone, ni radio. Et aucun véhicule non plus. En revanche, on a déniché des groupes électrogènes. Plusieurs bâtiments en sont équipés, dont celui-ci. S’il reste un peu d’essence, on devrait pouvoir les redémarrer, obtenir de la lumière et brancher des ventilateurs. J’en ai repéré qui traînent.
Elizabeth s’essuya la bouche et passa le carton à Lenny.
— Frankie ? demanda-t-elle.
Cameron croisa les bras en coinçant les mains sous ses aisselles, ce qui eut pour effet de faire ressortir ses biceps.
— Ma petite dame, Frankie nous a quittés sans avoir la politesse de nous dire où il allait. Si vous voulez mon avis, il est parti en pleine nuit pour éviter la chaleur. Il a dû atteindre la route et contacter les secours, à l’heure qu’il est. Au moins par téléphone portable. (Il imita l’accent du chauffeur.) Que du bonheur !
Personne ne rit.
— Et s’il n’avait pas de portable avec lui ? dit Léonard.
— Je suppose qu’il aura emprunté l’un des nôtres.
— Possible. Tom Lincoln n’a plus le sien.
— Ben voilà, qu’est-ce que je disais ! Il n’y a aucune raison de s’inquiéter, les secours seront bientôt là.
Lenny désigna le bus du menton.
— Attendons de voir.
— De voir quoi ?
— Lincoln.
Cameron écrasa son poing sur la rambarde.
— Encore lui ? Cet ivrogne ne débite que des conneries !
— Il va revenir. Je crois que vous feriez mieux d’écouter sa version.
Thomas n’avait pas le sentiment de les avoir convaincus. C’est pourquoi il était reparti fouiller le bus. Chercher dans l’épave lui avait pris du temps. L’odeur du plastique brûlé le prenait à la gorge et le soleil tapait sur la tôle, transformant l’habitacle en véritable étuve.
Comment des gens pouvaient-ils habiter un coin pareil ? Il avait visité la Vallée de la Mort, une fois. À côté de ce bled, c’était des vacances.
À quatre pattes sous un siège, il était sur le point de se relever quand un reflet rouge attira son attention. Il allongea le bras. Ses doigts tâtonnèrent jusqu’à toucher une surface lisse, l’agrippèrent et la ramenèrent à lui. Il l’examina, le cœur battant. Un simple coup d’œil avait suffi : il ne s’était pas trompé.
Il plaqua l’objet contre sa poitrine, escalada la fenêtre par laquelle il était entré et se laissa glisser à terre.